samedi 6 juin 2009

Prix Nobel de Littérature

N. N. Taleb dans "The Black Swann" raconte(1) comment, en visitant des proches à Beiruth, il tombe parfois sur les restes d'une collection d'ouvrages rassemblant les auteurs récipiendaires du prix nobel dont nombre d'entre eux sont devenus anonymes depuis lors (bien que je ne partage pas - a priori - ses choix parmi la liste de victimes qu'il dresse en exemple : Pearl Buck et Anatole France me semblent encore des noms populaires). Cet exemple sert d'argument à une des thèses du livre, à savoir que la reconnaissance - magnifiée comme l'est celle du prix Nobel de littérature : seulement 101 récipiendaires en plus d'un siècle - est principalement le fruit du hasard:

Wikipedia propose la liste des prix Nobel de litterature, et il m'est venu à l'idée de vérifier l'argument de Taleb.

Tout d'abord il faut déterminer quels sont les critères d'attribution du prix. Dans son testament, A. Nobel décrit un prix littéraire récompensant l'oeuvre la plus exceptionnelle dans une direction idéale (2) pour des travaux présentés durant les années précédentes ou dont la portée a été découverte récemment. On remarquera donc qu'il ne s'agit donc pas d'un vote de popularité bien que la popularité puisse être un critère de choix dans cette définition pour le moins ambigüe. L'article cité décrit des "phases" dans la définition de l'idéal qui passent succèssivement de "l'humanisme au grand coeur" au "plus grand bénéfices pour l'humanité", au "pionniers", à "l'attention pour les maîtres inconnus" et à "l'attention portée au monde entier".

Ces phases suffisent à mettre en partie à mal l'argument de Taleb : d'une part il ne s'agit pas d'un vote populaire - il n'y a donc pas de relation entre la remise du prix et la popularité d'un auteur au temps de la remise. D'autre part, même après la remise, il me paraît loin d'être évident que la culture populaire reflète les faits les plus importants et des plus grands héros, au delà d'un horizon temporelle qui lui serait soumis au marketing et à la mode. Pourquoi le passé ne serait-il pas non plus une affaire de marques et de marketings avec des noms populaires (Homère, de Vinci, Shakespeare, Hugo...) et d'autres tout aussi important dans l'histoire du développement de la littérature mais qui resteraient inconnus ? Ainsi le créateur d'une forme littéraire pourrait très bien rester inconnu du grand public, alors que les chercheurs reconnaîtraient sa primauté. Mais pire encore, on peut également supposer que les chercheurs sont aussi soumis au règne du marketing et de la mode. En effet, leur population est plus restreinte que le grand publique, ils sortent souvent des mêmes universités, ont eu les mêmes maîtres et se recontrent très souvent entre eux. Ne peut-on à partir de là simplement imaginer qu'ils sont encore d'avantage soumis à un effet de mode qui ne peut exister sans une exposition répétée à l'"objet- mode" ?

Cette critique semble mener à un cul-de-sac : on ne peut rien dire ni sur une oeuvre, ni sur un auteur. Dès lors il n'y a plus de critique d'art possible et Dan Brown est aussi important qu'Honoré de Balzac. Pour tenter de sortir de cette ambigüité et déterminer quels auteurs sont plus importants que d'autres (pas seulement pour les magnifier dans un prix, mais pour qu'ils servent de bases à une éducation ou une recherche critique) il me semble que l'on puisse de croiser les deux critères dont nous avons parlé. Au barème de popularité, ajouté le barème des spécialistes. Et pour cela, nous disposons grâce au Web de deux outils intéressants:
1) la liste des ventes Amazon permet de comparer si un auteur récompensé par le prix Nobel est un auteur populaire.
2) la recherche "Google Scholar" permet de déterminer si


(1) P.222 de l'édition Penguin