jeudi 31 juillet 2008

Aphorisme, II

Le dilettantisme est la plus belle façon de vénérer la nature dans toutes ses manifestations.

Aphorisme, I

Le but de la photographie ? Prolonger l’extase, indéfiniment.

Le Latin aujourd'hui

Pourquoi la plupart des traductions disponibles en français des auteurs latins ont-elles ce goût de composition scolaire? Est-ce parce que justement on ne les a rencontré qu’en classe et qu’elles gardent le souvenir amer des versions à préparer ? Est-ce parce que la langue latine et d’une simplicité qui ne peut être rendue en Français sans évoquer les phrases d’un collégien ? Ou bien serait-ce que nul écrivain contemporain ne s’est jamais mêlé de traduire du latin ? A défaut de belles traductions, les auteurs latins restent confidentiels, connus de beaucoup, achetés par les écoliers, surlignés sur les premières pages, intact à partir de leur seconde moité, jaunissant sur une étagère ou dans un carton à la cave. Est-ce parce qu'une citation latine donne l'impression de s'adresser à une élite, formée dès l’enfance, et dont un signe de reconnaissance est d'avoir été sensibilisé à une langue morte qu'on en trouve pratiquement nul part? Et pourtant les Anciens ont tout écrit, en tout cas tout ce qui fait la grandeur et la bassesse de l'homme. Après Cicéron, Ovide ou César, après leurs grands imitateurs de la Renaissance et du Classicisme, après la parenthèse fulgurante d'une moitié de siècle qui se positionna en réaction aux valeurs liées à une antiquité qu'elle détestait et adorait en même temps, il ne reste plusà l'écrivain moderne en quête d'originalité, que la pénible tâche de décrire un quotidien banal et sans relief, traversé par un sexe monotone ou vulgaire, seul remède à l'ennui. Ou en tout cas, à ce qu'il semble, en parcourant le panorama des stars récentes du monde littéraire. Il me semble pourtant qu'il reste à réinventer une littérature qui pourrait mêler classicisme dans son aspiration et modernité dans son traitement et qu'un tel parti-pris pourrait nous porter enfin vers un nouveau chapitre de cet art.

mardi 29 juillet 2008

Sur le pont de Brougham


Sur le pont de Brougham une femme couvre d'un regard à la fois irrité et résigné la calvitie croissante de son mari, penché sur la rambarde, fixant de blanchâtres rayures comme des cicatrices sur la pierre grises. Cet homme respecté, ce chevalier honoré, n'a d'égard ni pour elle, ni pour les passants, ni pour le canal qui roule ses eaux sombres, ni pour son pantalon de bonne coupe qui frotte contre la pierre mouillée, ni pour sa main droite, fermée sur un canif ébréché, dont la peau par endroit erraflée tremble encore de l'effort qu'elle vient de fournir.

Dans un accès de génie qui ressemble à l'extase, il vient de graver sur une pierres de la rambarde un vers du langage des dieux :
i2 = j2 = k2 = ijk = − 1.

dimanche 27 juillet 2008

Sauvegarder l'essentiel de la culture humaine pour une archéologie future

Sommes-nous à la veille d'une destruction totale de l'humanité ? Des gens très sérieux se penchent régulièrement sur cette question, comme les fameux concepteurs de l'horloge de la fin du monde (doomsday clock) de l'université de Chicago. Celle-ci évoque symboliquement la proximité d'une guerre nucléaire avec pour conséquence une destruction totale de notre espèce. Elle indique, alors que j'écris ces lignes (2008), 5 mn avant minuit, une position que qu'elle n'avait pas eu depuis 20 ans.

Cette horloge est bien entendue entièrement symbolique car la probabilité de tout événement futur dépendant de processus mentaux n'est pas quantifiable, (de tels évènements appartiennent à l'ordre des "black swans" chers à Nassim Nicholas Taleb) sans même parler de quantifier la probabilité d'un tel évènement sur une échelle temporelle. Mais ce qui compte ici n'est pas d'estimer la probablité d'une apocalypse pour l'espèce humaine; ce qui compte c'est que cette possibilité existe et je pense qu'il y a à ce sujet un concensus assez large.

A partir du moment où nous acceptons cette possibilité se pose la question de comment conservation un certain nombre d'éléments représentatifs de la civiliation humaine (civilisation ici dans le sens des produits mentaux qui séparent l'homme de l'animal) au delà de la fin de l'ère humaine. Mais avant de pouvoir répondre à cette questions, deux hypothèses doivent être formulée : d'une part, qu'il existe dans l'univers une civilisation qui puisse un jour recevoir et interprêter les éléments conservés et d'autre part que l'univers n'est pas gouverné par un quelconque principe ou essence de nature immanente qui rende cette conservation inutile. En l'état actuel de nos connaissances (et notamment de la découverte de nombreux systèmes planétaires hors de notre système solaire), il me semble raisonnable d'une part de "parier" sur la première hypothèse et d'autre part de prendre les mesures nécessaires dans le cas où la seconde ne serait pas valable.

Qu'est il souhaitable de conserver de notre civilisation? Un livre récent se préoccupe de savoir ce qui resterait de notre monde à différents horizons si nous en étions absent. Mais nous irons ici plus loin en postulant soit un cataclysme ravageur et/ou un temps géologique suffisamment long pour que toutes traces de notre passage sur cette planète soit irrémédiablement effacé. En effet, la guerre nucléaire n'est pas la seule source possible de notre disparition et une famille de virus, un météore ou un effondrement du taux de natalité pourrait également faire l'affaire (néanmoins ces hypothèses sont à préférer car elles permettraient à notre planète de continuer à supporter la vie, sans nous certes, mais au bénéfice d'autres espèces). Avec de tels hypothèses et sans une volonté active de notre part de sauvegarder ce qui peut l'être, il serait très difficile à un civilisation extraterrestre de se faire une idée de ce qu'était l'homme, du développement de ses capacités intellectuelles et des civilisations qui ont résultés.

On pourra ici objecter d'une part qu'il y a peu à conserver sur un plan moral d'une civilisation qui après tant de guerres aura finalement réussi à se détruire totalement (ou n'auras pu se prémunir contre des fléaux qu'il aura lui même contribué à créer) ; et d'autre part que l'hypothèse de la civilisation extraterrestre analysant des vestiges de notre civiliation suppose sa maîtrise d'un tel niveau technologique que l'ensemble de notre savoir scientifique aura pour eux très peu d'interêt.

Et pourtant on peut légitimement penser qu'une civilisation extraterrestre sera intéressée par ce qui fut l'expérience humaine de la civilisation, de nos égarements comme de nos réussites, comme nous sommes nous même intéressé à toutes les civilisations mortes ou bien périphériques aux grandes aires culturelles actuelles. Si nous demandions à Levi-Strauss ce qui l'a conduit à s'intéresser aux tribus amazoniennes, nous aurions certainement une réponse du type que toute expérience culturelle nous met dans en position de nous extraire de notre propre milieu culturel et de pouvoir porter un nouveau regard sur soi.

Par ou commencer notre sélection? Pour que les vestiges soient interprétables, il faut tout d'abord donner aux Champollion et Ventris du futur les moyens de comprendre nos langues. A ce sujet, les mathématiques forment un point de départ idéal, car doué de la propriété d'être à la fois existant et d'être le plus abstrait de nos systèmes. Existant car les objets tels que triangles ou cercles et leur propriétés mathématiques seront assurément connus de nos archéologues du futur et suffisamment abstrait pour que leur interprétation ne souffrent pas du manque d'exemple (par comparaison, il faudra tout un descriptif pour décrire un animal comme l'éléphant s'il n'existe plus à cette époque et s'il est inconnu, comme il est probable, des archéologues). Les mathématiques vont permettre de faire découvrir à nos archéologues les premières aspects de la lingua franca (c'est à dire de la première langue de travail qui aura été choisie préalablement; sans doute l'anglais), aspects qui découleront de la description dans cette langue des nombres, des figures géométriques, des opérations, etc. Par le terme aspect, je pense aux lettre, syllabes, mots, fonctions grammaticales, etc. Dans un deuxième temps, la chimie et la physique vont permettre de mettre en relation tous les mots concernant les matériaux ainsi que de donner, déjà, les limites de notre conception du monde. L'étape suivante est le dictionnaire permettant de retrouver le vocabulaire globale de la langue ainsi que ses règles. Une encyclopédie la plus complète possible pourra ensuite donner l'expression la plus synthétisée de la culture humaine. Et enfin, la traduction de cette encyclopédie dans d'autres langues permettra entre autre à nos archéologues d'avoir une idée sur l'étendue de nos diversité culturelle.

Ce projet peut paraître à première vue ambitieux. Et pourtant une information ainsi structurée existe bel et bien déjà: il s'agit de la base de donnée de l'encyclopédie ouverte Wikipedia et des autres projets wiki qui lui sont associés. Il suffirait donc de copier la base de donnée wikipedia sur un support durable pour réaliser ce programme ce qui est assuremment à notre portée.

Pour assurer la meilleure chance de sauvegarde de cette mémoire de l'humanité, il est sans doute souhaitable que le support soit copié en plusieurs exemplaires qui seront envoyés dans l'espace au moyen de sondes en orbite dans le système solaire voire, pour certains, projetés au dela de ce système. On pourra en outre déposer un exemplaire sur la lune. Chacune de ces copies seraient associés à un émetteur de signal, une balise qui augmentera les chances de découverte. Le processus pourrait être répété tous les 25 ou 50 ans afin de tenir compte des derniers évènements dans notre monde et de la croissance de wikipedia. En outre, grâce au progrès technologique, le support ainsi que les véhicules pourront être améliorés.