vendredi 15 février 2008

La censure corporatiste

La controverse fait rage à l'éducation nationale et pour une fois il ne s'agit pas d'une nième réforme du gouvernement. La cause de tout ce remue-ménage est un site, note2be, dont le concept est de donner la possibilité aux élèves de noter les profs. Evidemment, cela dérange. Le Monde (1) cite le rapport Attali: "l'évaluation des professeurs ne peut pas reposer uniquement sur les notes qu'obtiennent leurs meilleurs élèves ni sur l'examen d'inspecteurs (…) Elle doit aussi reposer sur une évaluation de leur pédagogie par leurs élèves" et également une phrase du site: "Prends le pouvoir, note tes profs !" qui peuvent alimenter les arguments de chaque camp. Que le site soit heureux ou non est l'objet de vives discussions. On se réjouira de la création d'un site contrenote2b qui fait également porter la controverse sur la toile. Se pose également le problème de la légalité du site et au moins trois plaintes, selon le décompte du Monde, ont été déposées. A la justice de trancher.


Tout ceci est sain et montre que le débat reste possible, même concernant le plus grand employeur de France. Une assignation en référé menaçait déjà ce bel affrontement : une action assez étonnante car le caractère d'urgence de la fermeture du site paraît léger. Mais c'était encore insuffisant pour un certain nombre de professeurs : désormais circule une pétition invitant à la fermeture du site.

Or c'est là pousser le bouchon un peu loin : car la pétition est d'abord le symbole de l'action pacifique dans les revendications asymétrique, lorsque la personne ou l'autorité mise en cause détient une force de répression (dans le cas par exemple des pétitions pour la fermeture de Guantanamo) ou bénéficie d'une situation financière et d'un accès médiatique considérable (cf. la pétition de RSF pour convaincre Jerry Yang de Yahoo! de ne plus censurer son site en Chine sur des mots clés tel que 'démocratie' ou 'droit de l'homme') comparée à ceux qui se sentent lésés et/ou qui veulent agir. Mais rien de tout cela dans le cas présent. La pétition est ici utilisée par un groupe bien structuré (le corps enseignant) profitant de son homogénéité pour s'attaquer à un particulier ou à une entreprise dont on ne peut surestimer l'accès médiatique (elle-même résultant en partie de l'attaque menée par les enseignants !) Recourir à la pétition, c'est dans ce cas, tenter de faire pression sur le pouvoir et l'opinion en se servant, non pas de l'argumentation et de la logique, mais de la force du corporatisme. Il s'agit d'impressionner par le nombre, de montrer une détermination qui fasse peur à la classe politique au point de lui faire prendre immédiatement parti sans fondement légal. La réaction de M. Darcos : "[Je] condamne avec fermeté l'ouverture de tels sites et tient à rappeler que l'évaluation des professeurs et leur notation sont du ressort exclusif de l'éducation nationale et, plus précisément, des fonctionnaires habilités pour ce faire : les inspecteurs et les chefs d'établissement" est à ce sujet atterrante pour un ministre en exercice ; elle ne peut qu'inciter les corporatismes à poursuivre dans de tels procédés.

En se posant en victime et en recourant à la pétition, les professeurs usent de moyens qui n'ont pas lieu d'être dans une démocratie en fonctionnement et qui devrait seulement être réservés pour les cas les plus graves. En y ayant recours, ces professeurs censés ouvrir l'esprit de leurs étudiants utilisent un instrument coercitif dans un but de censure. Mesdames, Messieurs de l'Education Nationale : on attendant mieux de vous. Renoncez à cette pétition et montrez que vous placer le débat sur le domaine de l'argumentation et du bien public. Vous en sortirez grandi.


(1) Source: Olivier Dumons, Le Monde, Zéro pointé pour un site de notation des professeurs, 14.02.08.

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