lundi 18 février 2008

Le droit à l’image et ses limites

La querelle du droit à l’image a ressurgit dernièrement en touchant directement l’homme le plus médiatique du moment et sa toute nouvelle épouse. Le Monde (1) relate cette affaire en précisant : « Le juge des référés Louis-Marie Raingeard a estimé que la publicité publiée par Le Parisien, le lundi 28 janvier, portait atteinte au droit à l'image de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni car elle n'avait pas été autorisée ». Un peu plus loin, il est fait mention que : « Le tribunal a accordé au chef de l'Etat l'euro symbolique qu'il demandait et 60 000 euros à Carla Bruni pour dommage patrimonial et moral ». Celle-ci demandait 500 000 euros de provision pour le préjudice subi dans son activité professionnelle de mannequin, auteur, compositeur et interprète de talent. »

Un Euro pour M. Sarkozy, soixante mille pour Mme Bruni. Il est à nouveau prouvé qu’en ce qui concerne la rémunération, il vaut mieux être modèle que président. Mais au fait, quelle est ce fameux « droit à l’image » revendiqué par Mme Bruni ?


Dans un excellent article de synthèse (2), Emmanuel Pierrat nous apprend que :

« Le droit à l'image n'est reconnu expressément par aucun texte de loi. Ce droit n'est en réalité que le fruit d'une lente construction de la jurisprudence. »

Il en fait par ailleurs l’historique :
« C'est véritablement dans les années 70 qu'on a assisté à une véritable inflation des procès en droit à l'image [...] en partie lié à la reconnaissance dans la loi d'un droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, le développement de la presse people a suscité d'importants débats relatifs au droit des stars à protéger leur image et à en disposer. Cette montée en puissance du droit à l'image s'est traduite par des contentieux aux enjeux financiers de plus en plus substantiels... Et les simples particuliers se sont à leur tour jetés dans la bataille au cours des années 80. Quant aux propriétaires de biens, ils ont commencé véritablement d'agir en justice avec succès à la fin des années 90. »

Et il ajoute :

« L'entier régime du droit à l'image constitue [...] une entorse au principe de la liberté d'expression, pourtant garantie par de nombreux textes, au premier rang desquels l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, toujours en vigueur en droit français. Le droit à l'image, [...] est une forme de censure moderne. »

Compte tenu de la menace que peut représenter la dérive du droit à l’image pour la liberté d’expression, l’auteur de ces lignes milite pour l’abandon des revendications d’un tel droit et son remplacement par un droit de compensation à l’utilisation de l’image. L’évaluation du montant de ce droit s’appuierait sur une sommation de termes positifs et négatifs selon l’objet de l’utilisation de l’image. Nous proposons les critères suivants :
1. La notion d’exploitation commerciale (terme positif) : Pour mesurer ce critère, il suffit d’évaluer le gain réalisé par le commanditaire par l’utilisation de l’image du sujet exposé. En associant le sujet non consentant à ce gain jusqu’au maximum de sa valeur estimée, on obtient le même effet que le dédommagement actuellement réclamé. Selon ce critère, il est logique qu’une star demande une compensation très supérieure à celle d’un simple particulier car la star fait d’avantage vendre le support du commanditaire.
2. La notion d’information (terme négatif) : La liberté de la presse repose sur la liberté d’apporter une information et d’en tirer un profit. La valeur d’information véhiculée par l’image doit donc venir en déduction de la notion commerciale au point de la réduire à néant dans la plupart des cas.
3. La notion artistique (terme négatif) : lorsque l’image présente des caractéristiques artistiques évidentes (on pense au couple photographié par Robert Doisneau en train de s’embrasser), celle-ci réduit le critère commercial au point de le réduire à néant s’il peut se justifier d’un but purement artistique.
Remarquons que nous ne retenons pas les notions de décence (photographie d’un cadavre par exemple) ni de conséquence de l’exposition médiatique de l’image (cliché de conjoint avec un ou une autre provoquant des ruptures de couples). Celles-ci nous semblent par nature trop subjectives pour ne pas présenter de risque à la liberté d’expression. Mais le mécanisme mis en place au travers de la notion n.1, si il repose sur une véritable évaluation économique des retombées pour le commanditaire, nous semble à même de présenter un degré de dissuasion suffisant pour éviter la plupart des excès.

Dissuader sans jamais interdire. Voici la philosophie que l’on aimerait voir appliquer dans les cas extrêmes de la liberté d’expression.


(1) Le Monde, ‘Carla Bruni obtient 60 000 euros en justice contre Ryanair’, 05.02.08. Les italiques de l’original ont été supprimés.

(2) Emmanuel Pierrat, Sciences humaines, Hors-série N° 43 - Décembre 2003/Janvier-Février 2004 . Tous les passages en italique sont des citations.

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