dimanche 24 août 2008

Groupe de Symétrie des surfaces planes II

Dans Groupe de symétrie des Surfaces Planes I, je recommandais aux artistes (graphiques) de trouver une partie de leur inspiration dans les mathématiques. Je préconisais par exemple l'étude des groupes de symétrie pour tirer de leur compositions des effets qui me semblent avoir été délaissés jusqu'ici. Il est par contre un art ou les symétries sont utilisées abondamment: il s'agit de la musique moderne avec notamment l'utilisation des boucles (loops). Une boucle est précisément un élément musical qui est répété un certain nombre de fois. Plusieurs boucles représentant plusieurs instruments se superposent pour former l'accompagnement musical du chanteur. On peut voir ici la mise en oeuvre de techniques de symétries qui sont appréciées de l'oreille humaine à partir du moment où elles ne tombent pas dans le répétitif (c'est pourquoi ces symétries sont perturbées de temps à autre). Il est aisé d'en faire l'expérience sur des logiciels de création musicale tel que Cakewalk.

Malheureusement, la surexploitation des techniques de boucles conduit la musique actuelle à se vider de la plus grande partie de sa composante artistique. Les compositeurs abusent de cette technique facile et du manque d'éducation de nos oreilles qui se satisfont de segments répétitifs comme les enfants apprécient les aliments aux goûts simples. En servant une musique agréable mais puérile musicalement parlant, en la limitant à des durées de 3 minutes en moyenne, en ayant chassé tout autre type de musique plus complexe (tel que la musique classique mais pas seulement) de notre environnement quotidien, les musiciens et producteurs de musique nous conditionnent à rester des auditeurs immatures. La musique actuelle tombe dans l'excès inverse de ce que nous décrivions pour les arts graphiques. Trop d'utilisation d'une seule technique nuit autant, voire d'avantage que sa non-utilisation.

samedi 23 août 2008

Qu'est-ce qu'un sport ?

Un sport est une activité qui répond à deux critères:

1 - Elle doit être basée sur un effort musculaire requiérant puissance et précision et peut faire l'objet d' entraînement permettant d'améliorer des performances.

2 - Elle fait l’objet de compétition permettant de déterminer un gagnant.

Ces critères me semblent suffisant pour déterminer UN sport. Il est beaucoup plus difficile de déterminer ce qu'est LE sport, en tant qu'ensemble de tous les sports mais aussi de toutes les activités associés à la pratique d'un sport. On notera par exemple que la définition axiomatique proposée ci dessous suppose immédiatement un espace de valeurs morales et une éthique propre à la pratique sportive et qui feront parti de ce qu'on appelle LE sport. Cette démarcation n'est pas sans équivalence avec le concept Poppérien de noms individuels et de noms universels. Il écrit notamment: "Any attempt to define universal names with the help of individual names is bound to fail" du fait que cette tentative est équivalente à un processus d'induction qui n'est pas valide du point de vue de la logique.(1)

Ci-dessous, je propose une classification des sports en catégorie qui bien que très intuitive ne me paraît pas avoir été compilé précédemment.

Catégorie A. Les sports dans lequels la performance des sportifs est déterminé par une mesure : de temps ou de distance (de hauteur) plutôt que par un arbitrage humain.

  • Catégorie A1 : Les sports de catégorie A où l’équipement joue un rôle a priori mineur (a) : souvent considérés comme les épreuves reines des jeux, il s’agit d’épreuves particulièrement appréciées sans doute à cause de l’intérêt que suscite un référentiel universel et non subjectif..

Exemple de sport de catégorie A1 : Les courses à pied sur différentes longueurs en athlétisme, le saut en longueur, le saut en hauteur, la natation.

(a) A priori seulement car le revêtement des pistes, les chaussures ou les combinaisons des nageurs ne sont pas certainement pas négligeable dans l’amélioration des performances.

  • Catégorie A2 : Les sports de catégorie A dépendant d’un équipement. Ils permettent une comparaison dans une période de temps courte entre différentes compétitions se déroulant dans des lieux différents. Par contre, l’équipement voire le réglement évoluant au fil du temps, ils ne permettent qu’une comparaison limitée avec les sportifs des compétitions précédentes

Exemple de sport de catégorie A2 : La course de saut d’obstacle, le saut à la perche, le tir, le vélo contre la montre en salle.

  • Catégorie A3 : Les sports de catégorie A dépendant des conditions particulières du lieu ou se déroule la compétition: ils ne permettent pas de comparaison entre les sessions :

Exemple de catégorie de sport A3 : Le marathon, la voile, le vélo en extérieur, le golf, le ski.

Catégorie B : les sports ou s’affrontent des athlètes en face à face, la victoire de l’un signifiant immédiatement la défaite de l’autre. :

Ces jeux sont soumis à des règles qui évoluent plus ou moins vite dans le temps, ne permettant pas de comparaisons précises mais permettant de désigner facilement un gagnant lors des tournois

Exemple de sport de catégorie B : Le football, la boxe, le handball, le volley ball, le tennis

Le poids de l’arbitrage même, basé sur des règles claires, est plus important.

Catégorie C : les sports dont l’évaluation comprend également des éléments artistiques notés par un ou des juges. Ces sports sont populaires car les compétitions sont également des spectacles mais font également l’objet de controverses dues à une part de subjectivité incontournable

Exemple de sport de catégorie C : la gymnastique artistique, le patinage, le plongeon, la nage synchronisée.

Ces sports sont l’objets de codification cherchant à limiter leur subjectivité inhérente. Ces codification elle mêmes et leur révisions sont également sources de controverses sur le poids dans la notation des éléments artistiques (2).

Catégorie D : Les sports ne reposant pas (ou peu) sur un entrainement musculaire : il s’agit à mon avis d’une confusion entre compétition et sport. Exemple de sport de catégorie D : Les sports mécaniques, les échecs, le bridge.

Notes:
(1) Karl Popper, the logic of Scientific Discovery, Routledge Classic 2002, p43 et suivantes.
(2) http://en.wikipedia.org/wiki/Code_of_Points_(artistic_gymnastics)

Groupe de Symétrie des surfaces planes


Ceiling of Egyptian tomb; ignoring colors this is p4, otherwise p2.
(source: wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Wallpaper_group#Group_p4)




La raison en est que le vortex présente deux couleurs, grises et jaunes sur les cotés adjacent d'un carré qui le contiendrait. La fleur présente bien une symétrie P4 mais le vortex n'en a qu'une de type P2 . Si les deux couleurs étaient les mêmes, on pourrait donc prendre comme plus petite unité de pavage ("Lattice") 1/4 de fleur et 1/4 de vortex et obtenir une symétrie p4. Mais tel n'est pas le cas, il faut donc prendre comme plus petite unité de pavage une fleur et un vortex complet avec lequel nous trouvons une simple symétrie de type P2.

Cet exemple est intéressant car il montre la possibilité d'avoir des symétries soujacentes, véritables symétries qui sont perturbées par l'adjonction d'un autre élément (ici la couleur). L'effet visuel obtenu est particulièrement riche. On pourrait trouver ici une méthode de composition intéressante qui serait de partir d'une symétrie élevée et d'y ajouter des éléments différents pour la perturber (on peut sans doute imaginer cette perturbation graduelle, permettant de supposer plusieurs niveaux de symétries) jusque parvenir - à l'extrême - à n'en avoir réellement aucune sur l'ensemble de la composition.

Il me semble regrettable que de nos jours, et à part l'exception étincellante de M. C. Escher, la plupart des artistes ne soit pas d'avantage intéressé par les possibilités offertes par les mathématiques et la physique en temps que champ d'inspiration et d'expérimentation. Il fut des temps où l'art était étroitement lié à la science, on pense bien entendu à la Renaissance mais le réalisme ou le naturalisme porte en leur essence une nécessaire compréhension de certains éléments mathématiques et physiques ce qui n'est pas nécessairement le cas pour l'abstrait. Pourtant, comme le dit Escher: "The mathematicians have opened the gate leading to an extensive domain."(1) Malheureusement, lorsque certains artistes cherchent à intégrer des éléments mathématiques dans leur création, il s'agit de pseudo-science, comme celle concernant le nombre d'or et que l'on retrouve dans des créateurs aussi sérieux que Le Corbusier(2). Du même avis qu'Escher, je suis convaincu que la science recèle des possibilité d'inspirations artistiques absolument laissé pour compte par nos artistes contemporains.
Illustration: Escher, Cercle Limit III.

* * *
In 1704, Sebastien Truchet considered all possible patterns formed by tilings of right triangles oriented at the four corners of a square.



Truchet's tiles produce beautiful patterns when laid out on a grid, as illustrated by the 20x20 arrangement of random tiles illustrated [below].













A modification of Truchet's tiles leads to a single tile consisting of two circular arcs of radius equal to half the tile edge length centered at opposed corners (Pickover 1989).

There are two possible orientations of this tile, and tiling the plane using tiles with random orientations gives visually interesting patterns. (3)














Sources:
(1) http://en.wikipedia.org/wiki/M._C._Escher
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_d%27or
(3) http://mathworld.wolfram.com/TruchetTiling.html

samedi 2 août 2008

Vérification d'une hypothèse en philosophie : cas du cadre imaginaire des sociétés occidentales

Je publie ce post comme exemple d'une approche de la philosophie où les propositions sont vérifiées par des preuves vérifiables, rejoignant en cela l'approche de Popper (1).

Le problème est de vérifier si les affirmations de l'article précédent (un imaginaire collectif des sociétés occidentales modernes tourné vers le présent et le fantastique alors que l'imaginaire collectif de toutes les autres sociétés était jusqu'à présent tourné vers le passé et le "réel") se vérifient dans les faits.

La méthode proposée est la suivante: d'une part recencer une production artistique représentative d'une époque et de le passer au travers d'un crible.

Le crible que j'utiliserai est le suivant: répartir les oeuvres en fonction de leur cadre temporelle, géographique et de genre.

Le cadre temporelle se divise en présent (suggérant que l'action principale appartient au temps présent même si des références sont faites à d'autres époques), passé (le passé commence lorsqu'il est percu comme une époque révolue, différente du temps présent. L'évocation d'une période remontant à une vingtaine d'années peut être ainsi classé comme une évocation du passé si elle est traitée de cette manière) ou à l'imaginaire (qui inclue également l'avenir).

Le cadre géographique se décompose en "local" c'est à dire faisant parti de la même aire culturelle (Pour les américains, la notion est subtile notamment pour les oeuvres se situant en Europe qui peuvent ou non être considérés comme "locaux"; de même, la façon dont les oeuvres américaines sont perçus en Europe notamment en Europe de l'ouest; on retiendra à ce sujet la "proximité" des personnages par rapport à notre quotidien; ainsi, la proximité d'un super-héros à New York pour un Européen de souche est plus facile qu'avec un film destinés au public afro-américains), "exotique" qui signifie faisant parti d'une autre aire culturelle, et "imaginaire" qui sera donc les oeuvres sans référence géographique existantes.

Les genre seront subdivisés en trois groupes: "réaliste" (le ressort de l'action est basé sur le réalisme. Le fantastique n'apparaît pas ou très peu n'est pas nécessaire à l'action), "fantaisie" (ici dans un sens restreint: il s'agit des oeuvres qui, dans leur traitement (dessin animé, traitement graphique particulier comme dans "300") comme dans leur propos (films de divertissement), utilisent des éléments qui sont perçus par leur public comme non-plausible; Le "fantastique" enfin est l'utilisation comme moteur principal de l'oeuvre de situations clairement impossibles.

la première liste d'oeuvre à laquelle on passera ce crible est le résultat du box office américain en terme de chiffres d'affaire en 2007. Ce choix est fait par la place dans la référence collective qu'occupe le cinéma, à cause de la taille du public concerné, et parce qu'il s'agit d'un bon critère d'évaluation de l'engouement du public pour des thèmes qui raisonnent en lui. Sur les 20 premiers films du Box office on trouve les résultats suivants:

- Cadre temporel: Oeuvres se situant dans le passé: 2, dans le présent: 15.
- Cadre géographique: Oeuvres se situation dans l'aire culturel: 14, exotique: 3
- Genre: Oeuvres de fantaisie ou fantastique: 18 dans les 20 premiers, dont 10 sur les 10 premiers.

On trouve des résultats similaires sur les données des films en France ouvrant la voie sur la caractérisation d'un imaginaire propre aux société occidentales.

Pour les 10 plus gros succès des films réalisé en 1989 on ne compte que 3 films d'époques et 2 films réalistes. On peut ainsi montrer en répétant ce crible au fil des années que cette tendance est une tendance longue nées entre 1950 et 1970.

Quant au pourquoi la société occidentale moderne ressent un tel besoin d'un imaginaire fantastique, il s'agit d'une question qui suggère des réponses plus ou moins faciles mais qui sortent du cadre de cette enquête.

vendredi 1 août 2008

L'imaginaire des sociétés occidentales

Toutes les sociétés utilisent majoritairement leur passé, historique ou non, dans la construction de leur imaginaire collectif. Ce passé peut soit servir de référence comme valeurs fondatrices, souvent supposées corrompues au moment ou l'auteur s'exprime, soit servir de cadre à des héros aux préoccupations plus contemporaines et servir ainsi à faire accepter ou à mettre en relief ses propos. Ainsi, les Grecs étaient passoionnés par leur mythologie fondatrice, et les Romains aimaient à citer Enée et les héros de la République, Les hommes du Moyen Age s'intéressaient aux héros de la table ronde, la Renaissance et le Classicisme au source de leur civilisation que le XIXème siècle occidental chercha dans d'autres traditions germaniques ou chevaleresque.(1)

Mais le XIXème marque également un tournant, avec, avec pour la première fois, dès le second quart du siècle (2) mais surtout dans ses 30 dernières années(3), la tentative commune aux artistes de premier plan de dresser un panorama complet de la société contemporaine(4). Transition qui s'ouvre sur les débuts de l'exotisme, de l'anticipation du fantastique(5) et débouche, dans la seconde partie du XXème siècle, sur un regard majoritairement tourné vers le présent et le fantastique (6).

La rencontre de ces deux antagonistes est a priori assez déroutante. L'une évoque le quotidien, l'autre l'évasion. On peut imaginer que la force de l'évasion est plus forte quand elle est mêlée à notre univers quotidien mais c'est la une expliation parmi d'autre. Ce qui importe, c'est que c'est un phénomène à la fois massif et tout à fait particulier à notre société occidentale moderne.

En effet, elle est très peu présente dans les oeuvres orientales(8) à l'exception notable du Japon(9), toujours très imprégné du passé et n'abordant le présent qu'avec prudence.

On soulignera que la différence est de taille: les héros du passé forment un imaginaire collectif qui à la fois inspire mais conditionne. Le fantastique ouvrent a priori sur une liberté plus grande ou l'individualité, le moi, peut être valorisé à l'extrême dans le personnage de super-héro. Et pourtant, tous les héros se ressemblent beaucoup (10) refermant ainsi de manière particulièrement frustrante la liberté d'invention qui vient de s'ouvrir.

On pourra également trouver dans l'évolution de l'imaginaire collectif brièvement décrit plus haut, un critère soutenant des termes souvent employés sans fondement pour caractériser des sociétés : Classique (imaginaire collectif tourné vers le passé), Moderne (tourné vers le présent), Post-Moderne (tourné vers le fantastique). Mais je tiens à souligner que le terme d'Evolution doit être pris dans un sens proche de celui qu'entendent les spécialistes en Biologie. Rien dans ce qui est décrit ici ne justifie que cette évolution soit moralement positive. Il ne s'agit ici que de clarifier une dénomination servant à définir un stade de société, si tant est que les sociétés passent par ces mêmes stades, ce qui me parait encore à vérifier. Se pourrait-il en effet qu'emergent en Chine en Inde ou dans les pays du Golf des sociétés technnologiquement avancées à l'imaginaire collectif encore tourné vers le passé ?

--- Notes ---

(1) On pourra reprocher le parti pris de ce paragraphe sans d'avantage d'explication. Je ne souhaite pas transformer cet article en un article scientifique mais je vais exposer ici un moyen de vérifier mes affirmations. je propose en effet l'utilisation d'un crible que je détaillerai dans le prochain post.

(2) Notamment avec Honoré de Balzac et sa Comédie Humaine,

(3) Une foule de nom surgissent à l'esprit: Le naturalisme en littérature, le réalisme, puis l'impressionisme en peinture.

(4) La difficulté d'une telle affirmation tient évidemment dans qui considère-t-on comme un artiste majeur. Le XIXème siècle à produit jusqu'à son extrême fin des oeuvres très "classiques" dans leur facture (ce que j'appelle ici des oeuvres faisant appel au passé) qui furent très célèbres en leur temps et c'est notre lecture tardive et sélective qui nous fait apparaître la production des oeuvres tournée vers le présent comme celles de premier plan. Mais nous pouvons nous convaincre que quel que soit la place que ces artistes occupaient dans le volume de production de leur époque, ils ont été les plus influents sur le devenir de la création artistique, méritant ainsi l'appellation de "majeur". Je me bornerais ici à démontrer ce que j'avance pour le virage pris par la société occidentale mais on pourrait facilement créer un crible semblable à celui que je mets en place pour en faire une vérification avec les auteurs de chaque période.

(5) On pense par exemple à Pierre Loti, Jules Vernes et le Maupassant du Horla.

(6) [In 2007] Nine of the Top 10 grossing films were science fiction, fantasy or animation.
http://www.nytimes.com/2008/01/02/movies/02year.html
Voir à ce sujet le crible analysé dans le prochain post.

(7)

(8) On prendra pour exemple que les premiers films chinois au box office pour l'annee 2007 sont: The Warlord, un film situé pendant la dynastie des Tang et Lust, Caution un film reconstituant l'athmosphère des années 30.
http://news.xinhuanet.com/english/2008-01/08/content_7386466.htm

(9) Notamment par le poids des Mangas dans l'imaginaire Japonais.

(10) Je pense ici bien évidemment au stérotypes du cinéma américain alors que les mangas japonaises, bien que n'était pas dénués de stéréotypes (la jeune fille à la lisière de l'adolescence comme héroïne), offrent des espaces imaginaires de masse bien plus riches. Voir par exemple les films de Miyasaki.

jeudi 31 juillet 2008

Aphorisme, II

Le dilettantisme est la plus belle façon de vénérer la nature dans toutes ses manifestations.

Aphorisme, I

Le but de la photographie ? Prolonger l’extase, indéfiniment.

Le Latin aujourd'hui

Pourquoi la plupart des traductions disponibles en français des auteurs latins ont-elles ce goût de composition scolaire? Est-ce parce que justement on ne les a rencontré qu’en classe et qu’elles gardent le souvenir amer des versions à préparer ? Est-ce parce que la langue latine et d’une simplicité qui ne peut être rendue en Français sans évoquer les phrases d’un collégien ? Ou bien serait-ce que nul écrivain contemporain ne s’est jamais mêlé de traduire du latin ? A défaut de belles traductions, les auteurs latins restent confidentiels, connus de beaucoup, achetés par les écoliers, surlignés sur les premières pages, intact à partir de leur seconde moité, jaunissant sur une étagère ou dans un carton à la cave. Est-ce parce qu'une citation latine donne l'impression de s'adresser à une élite, formée dès l’enfance, et dont un signe de reconnaissance est d'avoir été sensibilisé à une langue morte qu'on en trouve pratiquement nul part? Et pourtant les Anciens ont tout écrit, en tout cas tout ce qui fait la grandeur et la bassesse de l'homme. Après Cicéron, Ovide ou César, après leurs grands imitateurs de la Renaissance et du Classicisme, après la parenthèse fulgurante d'une moitié de siècle qui se positionna en réaction aux valeurs liées à une antiquité qu'elle détestait et adorait en même temps, il ne reste plusà l'écrivain moderne en quête d'originalité, que la pénible tâche de décrire un quotidien banal et sans relief, traversé par un sexe monotone ou vulgaire, seul remède à l'ennui. Ou en tout cas, à ce qu'il semble, en parcourant le panorama des stars récentes du monde littéraire. Il me semble pourtant qu'il reste à réinventer une littérature qui pourrait mêler classicisme dans son aspiration et modernité dans son traitement et qu'un tel parti-pris pourrait nous porter enfin vers un nouveau chapitre de cet art.

mardi 29 juillet 2008

Sur le pont de Brougham


Sur le pont de Brougham une femme couvre d'un regard à la fois irrité et résigné la calvitie croissante de son mari, penché sur la rambarde, fixant de blanchâtres rayures comme des cicatrices sur la pierre grises. Cet homme respecté, ce chevalier honoré, n'a d'égard ni pour elle, ni pour les passants, ni pour le canal qui roule ses eaux sombres, ni pour son pantalon de bonne coupe qui frotte contre la pierre mouillée, ni pour sa main droite, fermée sur un canif ébréché, dont la peau par endroit erraflée tremble encore de l'effort qu'elle vient de fournir.

Dans un accès de génie qui ressemble à l'extase, il vient de graver sur une pierres de la rambarde un vers du langage des dieux :
i2 = j2 = k2 = ijk = − 1.

dimanche 27 juillet 2008

Sauvegarder l'essentiel de la culture humaine pour une archéologie future

Sommes-nous à la veille d'une destruction totale de l'humanité ? Des gens très sérieux se penchent régulièrement sur cette question, comme les fameux concepteurs de l'horloge de la fin du monde (doomsday clock) de l'université de Chicago. Celle-ci évoque symboliquement la proximité d'une guerre nucléaire avec pour conséquence une destruction totale de notre espèce. Elle indique, alors que j'écris ces lignes (2008), 5 mn avant minuit, une position que qu'elle n'avait pas eu depuis 20 ans.

Cette horloge est bien entendue entièrement symbolique car la probabilité de tout événement futur dépendant de processus mentaux n'est pas quantifiable, (de tels évènements appartiennent à l'ordre des "black swans" chers à Nassim Nicholas Taleb) sans même parler de quantifier la probabilité d'un tel évènement sur une échelle temporelle. Mais ce qui compte ici n'est pas d'estimer la probablité d'une apocalypse pour l'espèce humaine; ce qui compte c'est que cette possibilité existe et je pense qu'il y a à ce sujet un concensus assez large.

A partir du moment où nous acceptons cette possibilité se pose la question de comment conservation un certain nombre d'éléments représentatifs de la civiliation humaine (civilisation ici dans le sens des produits mentaux qui séparent l'homme de l'animal) au delà de la fin de l'ère humaine. Mais avant de pouvoir répondre à cette questions, deux hypothèses doivent être formulée : d'une part, qu'il existe dans l'univers une civilisation qui puisse un jour recevoir et interprêter les éléments conservés et d'autre part que l'univers n'est pas gouverné par un quelconque principe ou essence de nature immanente qui rende cette conservation inutile. En l'état actuel de nos connaissances (et notamment de la découverte de nombreux systèmes planétaires hors de notre système solaire), il me semble raisonnable d'une part de "parier" sur la première hypothèse et d'autre part de prendre les mesures nécessaires dans le cas où la seconde ne serait pas valable.

Qu'est il souhaitable de conserver de notre civilisation? Un livre récent se préoccupe de savoir ce qui resterait de notre monde à différents horizons si nous en étions absent. Mais nous irons ici plus loin en postulant soit un cataclysme ravageur et/ou un temps géologique suffisamment long pour que toutes traces de notre passage sur cette planète soit irrémédiablement effacé. En effet, la guerre nucléaire n'est pas la seule source possible de notre disparition et une famille de virus, un météore ou un effondrement du taux de natalité pourrait également faire l'affaire (néanmoins ces hypothèses sont à préférer car elles permettraient à notre planète de continuer à supporter la vie, sans nous certes, mais au bénéfice d'autres espèces). Avec de tels hypothèses et sans une volonté active de notre part de sauvegarder ce qui peut l'être, il serait très difficile à un civilisation extraterrestre de se faire une idée de ce qu'était l'homme, du développement de ses capacités intellectuelles et des civilisations qui ont résultés.

On pourra ici objecter d'une part qu'il y a peu à conserver sur un plan moral d'une civilisation qui après tant de guerres aura finalement réussi à se détruire totalement (ou n'auras pu se prémunir contre des fléaux qu'il aura lui même contribué à créer) ; et d'autre part que l'hypothèse de la civilisation extraterrestre analysant des vestiges de notre civiliation suppose sa maîtrise d'un tel niveau technologique que l'ensemble de notre savoir scientifique aura pour eux très peu d'interêt.

Et pourtant on peut légitimement penser qu'une civilisation extraterrestre sera intéressée par ce qui fut l'expérience humaine de la civilisation, de nos égarements comme de nos réussites, comme nous sommes nous même intéressé à toutes les civilisations mortes ou bien périphériques aux grandes aires culturelles actuelles. Si nous demandions à Levi-Strauss ce qui l'a conduit à s'intéresser aux tribus amazoniennes, nous aurions certainement une réponse du type que toute expérience culturelle nous met dans en position de nous extraire de notre propre milieu culturel et de pouvoir porter un nouveau regard sur soi.

Par ou commencer notre sélection? Pour que les vestiges soient interprétables, il faut tout d'abord donner aux Champollion et Ventris du futur les moyens de comprendre nos langues. A ce sujet, les mathématiques forment un point de départ idéal, car doué de la propriété d'être à la fois existant et d'être le plus abstrait de nos systèmes. Existant car les objets tels que triangles ou cercles et leur propriétés mathématiques seront assurément connus de nos archéologues du futur et suffisamment abstrait pour que leur interprétation ne souffrent pas du manque d'exemple (par comparaison, il faudra tout un descriptif pour décrire un animal comme l'éléphant s'il n'existe plus à cette époque et s'il est inconnu, comme il est probable, des archéologues). Les mathématiques vont permettre de faire découvrir à nos archéologues les premières aspects de la lingua franca (c'est à dire de la première langue de travail qui aura été choisie préalablement; sans doute l'anglais), aspects qui découleront de la description dans cette langue des nombres, des figures géométriques, des opérations, etc. Par le terme aspect, je pense aux lettre, syllabes, mots, fonctions grammaticales, etc. Dans un deuxième temps, la chimie et la physique vont permettre de mettre en relation tous les mots concernant les matériaux ainsi que de donner, déjà, les limites de notre conception du monde. L'étape suivante est le dictionnaire permettant de retrouver le vocabulaire globale de la langue ainsi que ses règles. Une encyclopédie la plus complète possible pourra ensuite donner l'expression la plus synthétisée de la culture humaine. Et enfin, la traduction de cette encyclopédie dans d'autres langues permettra entre autre à nos archéologues d'avoir une idée sur l'étendue de nos diversité culturelle.

Ce projet peut paraître à première vue ambitieux. Et pourtant une information ainsi structurée existe bel et bien déjà: il s'agit de la base de donnée de l'encyclopédie ouverte Wikipedia et des autres projets wiki qui lui sont associés. Il suffirait donc de copier la base de donnée wikipedia sur un support durable pour réaliser ce programme ce qui est assuremment à notre portée.

Pour assurer la meilleure chance de sauvegarde de cette mémoire de l'humanité, il est sans doute souhaitable que le support soit copié en plusieurs exemplaires qui seront envoyés dans l'espace au moyen de sondes en orbite dans le système solaire voire, pour certains, projetés au dela de ce système. On pourra en outre déposer un exemplaire sur la lune. Chacune de ces copies seraient associés à un émetteur de signal, une balise qui augmentera les chances de découverte. Le processus pourrait être répété tous les 25 ou 50 ans afin de tenir compte des derniers évènements dans notre monde et de la croissance de wikipedia. En outre, grâce au progrès technologique, le support ainsi que les véhicules pourront être améliorés.

dimanche 24 février 2008

En solidarité avec Kurt Westergaard

Le 12 février dernier, la police danoise arrête trois hommes (deux tunisiens et un danois d'origine marocaine) suspectés de planifier l'assassinat de Kurt Westergaard, le dessinateur de la caricature "la bombe dans le turban".

Le jour suivant, Jyllands-Posten ainsi que beaucoup d'autres journaux danois réimpriment la caricature en solidarité, comme nous le faisons sur ce blog.

Une abondante littérature existe sur la publication de ces caricatures. Nous renvoyons le lecteur au très bon article de Wikipedia en français [1] sur les possibles instigateurs des réactions soulevées dans le monde musulman et de leurs motifs et nous nous bornerons seulement à un inventaire non exhaustif :

Les victimes :
  • Le 30 janvier 2006, le chef spirituel des Frères musulmans appelle les musulmans du monde « à boycotter les produits du Danemark et de la Norvège, et à prendre des mesures fermes. » La population saoudienne entame alors un boycott des produits danois, en signe de protestation contre ces dessins et, dans la région du Golfe, plusieurs supermarchés ont retiré les produits alimentaires danois des étals à la suite de plaintes de clients. La Fédération des industries danoises précise que les entreprises danoises menacées par ce boycott sont le groupe laitier Arla Foods, pharmaceutique Novo Nordisk, le fabriquant de pompes Grundfos et les jouets Lego.
  • Les responsables de Magazinet et de Jyllands-Posten et les caricaturistes reçoivent des menaces de mort à la suite de la publication des dessins. Jyllands-Posten doit évacuer son siège d'Aarhus (centre du pays) et sa rédaction de Copenhague, en raison d'une alerte à la bombe. De son côté, la Croix-Rouge danoise a annoncé l'évacuation de deux de ses employés de Gaza et d'un du Yémen.
  • France-Soir est le seul journal français à publier les dessins le 1er février 2006. Jacques Lefranc, président et directeur de la publication limogé le jour même. Son remplaçant, Éric Fauveau, démissionne le lendemain.
La peur :
  • Libération: « les dessins nous ont semblé d'un niveau médiocre, tant sur le fond que dans la forme, et aucun d'entre nous n'a eu envie de les voir dans notre journal ». Libération publiera plus tard deux caricatures.
  • La presse duRoyaume-Uni prend la décision volontaire et unanime de ne pas publier les caricatures afin de ne pas attiser un climat de défiance envers les différentes communautés du Royaume, cela, en dépit de la crise qui agite d'Europe.
  • A noter que l'édition française de Wikipédia relatif aux caricatures ne présente pas les caricatures à ce jour, alors que l'édition anglaise les publie. A ce jour, sur les 30 langues où un article est disponible sur le sujet, seules 7 d'entre elles proposent une reproduction des caricatures : l'anglais, le gallois, l'hébreux, le luxembourgeois, le serbo-croate, le vietnamien et le chinois traditionnel.
Les opportunistes :
  • Le groupe suisse Nestlé fait publier à la une du quotidien panarabe Asharq al-Awsat une publicité précisant que son lait en poudre n'était « ni produit au Danemark, ni importé du Danemark »
  • La chaîne d'hypermarchés Carrefour cesse de distribuer des produits danois dans les pays du Moyen-Orient où elle est implantée. Des panneaux placés dans ces supermarchés et dans les rues de nombreuses villes arabes annoncent (par exemple en Égypte) : « Chers Clients, Nous exprimons notre solidarité avec la communauté islamique égyptienne. Carrefour ne vend pas de produits danois ».
  • Le porte-parole du département d'État américain, Justin Higgins […] déclare : « Ces caricatures sont évidemment blessantes pour les croyances des musulmans. […] L'incitation à la haine religieuse et ethnique n'est pas acceptable. […] Nous reconnaissons tous et nous respectons complètement la liberté de la presse et de l'expression, mais elle doit s'accompagner de la responsabilité de la presse » ce qui semble pour le moins curieux lorsqu'on se rappelle qu'un autre porte parole, Scott McClellan, rappelait quelques mois plus plus tot que «les Etats-Unis sont pilotes pour promouvoir et défendre la liberté et l’indépendance de la presse dans le monde et le resterons» lors du scandale sur la désinformation organisée en Irak[2].

La grandeur :
  • L'éditorialiste de France-soir écrit au sujet de la publication des caricatures :« Non, nous ne nous excuserons jamais d'être libres de parler, de penser, de croire… Puisque ces docteurs autoproclamés de la foi en font une question de principe, il faut être ferme. Clamons-le autant qu'il le sera nécessaire, on a le droit de caricaturer Mahomet, Jésus, Bouddha, Yahvé et toutes les déclinaisons du théisme. Cela s'appelle la liberté d'expression dans un pays laïque. »
  • L'ancien grand mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, déclare « je trouve inadmissible de rester l'otage d'une horde de fanatiques qui, au lieu de répondre par le dialogue, répondent par la violence » a-t-il affirmé, expliquant que « c'est grâce à la liberté d'expression que l'islam se défend, que moi-même je peux à tout moment et quand je veux exposer mon message ».[3]

[1]. Toutes les citations de cet article sauf mention contraire sont tirées de Wikipedia, "Caricatures de Mahomet du journal Jyllands-Posten", version du 23 février 2008 à 18:02 Salebot.
[2]. Olivier Péguy, "une « désinformation » organisée", RFI , 03/12/2005.
[3]. Nous invitons les lecteurs à proposer d'autres références pour chacune des catégories.

vendredi 22 février 2008

De l'embargo culturel.

Dans un tout récent article du Monde (1), Marek Halter s'en prend à la pétition lancée par un groupe d'intellectuel "pour le boycott des écrivains israéliens invités d'honneur cette année de la Foire Internationale du livre de Turin". Ce boycott, destiné "à punir une littérature pour la politique d'un gouvernement" est ensuite rapproché des persécutions de Caligula, de l'inquisition espagnoles et des autodafés nazis car "tous ceux qui voulaient la mort des juifs étaient-ils amenés à commencer par détruire leurs livres."

On remarquera dans cet article d'un écrivain qui se dit "horrifié" (il était déjà en colère; il y a moins de chemin à faire), qu'il ne cherche à aucun moment à imaginer quels pourraient être les raisons d'un tel boycott. Par contre, le crime est encore rapproché de "ceux qui veulent la destruction d'Israel" et des "étudiants négationnistes de Rome". Point n'est besoin de décrire d'avantage cet article ; superficiel et enflé, il donne un goût amer comme chaque fois que l'histoire tragique de la persécution des juifs, et particulièrement du crime à nul autre pareil de la Shoah, est utilisée avec indécence, en exploitant la sympathie que l'on éprouve naturellement pour ses victimes, pour justifier ce qui ne les concerne en rien comme, par exemple, la politique actuelle de l'Etat d'Israel.

On reviendra plutôt sur le fond du problème : à savoir faut-il utiliser l'arme de l'embargo artistique contre un pays dont la politique à fait l'objet de sévères condamnations sur la scènes internationales et qui refuse de se soumettre aux résolutions du conseil de sécurité de l'ONU ?

Ces lignes n'ont pas l'ambition de déterminer si un embargo économique est de nature à changer la politique menée par un gouvernement et si une telle action est souhaitable. Divers cas récent (l'Afrique du Sud, la Yougoslavie, l'Irak, l'Iran) plaident pour des opinions diverses. Par contre il nous apparaît évident qu'un embargo culturel à l'encontre d'un pays ne peut être que contre-productif et cela pour deux raisons :
- d'une part on prend le risque d'étouffer les voix qui dans le pays plaident pour le changement;
- d'autre part, en réprimant la création artistique, on réprime aussi la liberté d'expression et l'on renforce ainsi le pouvoir des tyrans. Pire, la culture constituant, avec justesse, la fierté d'un peuple, le refoulement de l'expression artistique ne peut manquer de rassembler les citoyens dans l'incompréhension et la condamnation des sanctions et dans un sentiment de persécution; deux sentiments propres à faire perdurer l'état des choses dans ce pays.

On suggèrera peut-être de ne faire qu'un embargo sélectif : permettre certains artistes, certains auteurs (les bons) de s'exprimer à l'étranger et refuser les autres (les méchants). Idée séduisante mais qui aurait autorité pour cette censure ? Les pays du conseil de sécurité ? L'ONU ? La réponse est que la censure est par elle-même débilitante (en ce qu'elle être contenu dans aucune limite; un précédent de censure artistique aboutira bientôt à la volonté de l'étendre à d'autres secteurs) et qu'il vaut mieux laisser diffuser du matériel artistique même politiquement condamnable plutôt que de perdre son âme à censurer.

En résumé, l'auteur de ces lignes s'oppose à la pétition soutenant un boycott des écrivains israéliens à Turin. Ce moyen de pression est au mieux dangereux, au pire contre-productif. On en déduira un principe de la liberté de création artistique que l'on formulera ainsi :
Un artiste peut se mêler de politique mais un politicien ne devrait jamais se mêler d'art.

(1) Marek Halter, 'Au secours, on brûle les livres !', Le Monde, 15 février 2008.

lundi 18 février 2008

Le droit à l’image et ses limites

La querelle du droit à l’image a ressurgit dernièrement en touchant directement l’homme le plus médiatique du moment et sa toute nouvelle épouse. Le Monde (1) relate cette affaire en précisant : « Le juge des référés Louis-Marie Raingeard a estimé que la publicité publiée par Le Parisien, le lundi 28 janvier, portait atteinte au droit à l'image de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni car elle n'avait pas été autorisée ». Un peu plus loin, il est fait mention que : « Le tribunal a accordé au chef de l'Etat l'euro symbolique qu'il demandait et 60 000 euros à Carla Bruni pour dommage patrimonial et moral ». Celle-ci demandait 500 000 euros de provision pour le préjudice subi dans son activité professionnelle de mannequin, auteur, compositeur et interprète de talent. »

Un Euro pour M. Sarkozy, soixante mille pour Mme Bruni. Il est à nouveau prouvé qu’en ce qui concerne la rémunération, il vaut mieux être modèle que président. Mais au fait, quelle est ce fameux « droit à l’image » revendiqué par Mme Bruni ?


Dans un excellent article de synthèse (2), Emmanuel Pierrat nous apprend que :

« Le droit à l'image n'est reconnu expressément par aucun texte de loi. Ce droit n'est en réalité que le fruit d'une lente construction de la jurisprudence. »

Il en fait par ailleurs l’historique :
« C'est véritablement dans les années 70 qu'on a assisté à une véritable inflation des procès en droit à l'image [...] en partie lié à la reconnaissance dans la loi d'un droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, le développement de la presse people a suscité d'importants débats relatifs au droit des stars à protéger leur image et à en disposer. Cette montée en puissance du droit à l'image s'est traduite par des contentieux aux enjeux financiers de plus en plus substantiels... Et les simples particuliers se sont à leur tour jetés dans la bataille au cours des années 80. Quant aux propriétaires de biens, ils ont commencé véritablement d'agir en justice avec succès à la fin des années 90. »

Et il ajoute :

« L'entier régime du droit à l'image constitue [...] une entorse au principe de la liberté d'expression, pourtant garantie par de nombreux textes, au premier rang desquels l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, toujours en vigueur en droit français. Le droit à l'image, [...] est une forme de censure moderne. »

Compte tenu de la menace que peut représenter la dérive du droit à l’image pour la liberté d’expression, l’auteur de ces lignes milite pour l’abandon des revendications d’un tel droit et son remplacement par un droit de compensation à l’utilisation de l’image. L’évaluation du montant de ce droit s’appuierait sur une sommation de termes positifs et négatifs selon l’objet de l’utilisation de l’image. Nous proposons les critères suivants :
1. La notion d’exploitation commerciale (terme positif) : Pour mesurer ce critère, il suffit d’évaluer le gain réalisé par le commanditaire par l’utilisation de l’image du sujet exposé. En associant le sujet non consentant à ce gain jusqu’au maximum de sa valeur estimée, on obtient le même effet que le dédommagement actuellement réclamé. Selon ce critère, il est logique qu’une star demande une compensation très supérieure à celle d’un simple particulier car la star fait d’avantage vendre le support du commanditaire.
2. La notion d’information (terme négatif) : La liberté de la presse repose sur la liberté d’apporter une information et d’en tirer un profit. La valeur d’information véhiculée par l’image doit donc venir en déduction de la notion commerciale au point de la réduire à néant dans la plupart des cas.
3. La notion artistique (terme négatif) : lorsque l’image présente des caractéristiques artistiques évidentes (on pense au couple photographié par Robert Doisneau en train de s’embrasser), celle-ci réduit le critère commercial au point de le réduire à néant s’il peut se justifier d’un but purement artistique.
Remarquons que nous ne retenons pas les notions de décence (photographie d’un cadavre par exemple) ni de conséquence de l’exposition médiatique de l’image (cliché de conjoint avec un ou une autre provoquant des ruptures de couples). Celles-ci nous semblent par nature trop subjectives pour ne pas présenter de risque à la liberté d’expression. Mais le mécanisme mis en place au travers de la notion n.1, si il repose sur une véritable évaluation économique des retombées pour le commanditaire, nous semble à même de présenter un degré de dissuasion suffisant pour éviter la plupart des excès.

Dissuader sans jamais interdire. Voici la philosophie que l’on aimerait voir appliquer dans les cas extrêmes de la liberté d’expression.


(1) Le Monde, ‘Carla Bruni obtient 60 000 euros en justice contre Ryanair’, 05.02.08. Les italiques de l’original ont été supprimés.

(2) Emmanuel Pierrat, Sciences humaines, Hors-série N° 43 - Décembre 2003/Janvier-Février 2004 . Tous les passages en italique sont des citations.

vendredi 15 février 2008

La censure corporatiste

La controverse fait rage à l'éducation nationale et pour une fois il ne s'agit pas d'une nième réforme du gouvernement. La cause de tout ce remue-ménage est un site, note2be, dont le concept est de donner la possibilité aux élèves de noter les profs. Evidemment, cela dérange. Le Monde (1) cite le rapport Attali: "l'évaluation des professeurs ne peut pas reposer uniquement sur les notes qu'obtiennent leurs meilleurs élèves ni sur l'examen d'inspecteurs (…) Elle doit aussi reposer sur une évaluation de leur pédagogie par leurs élèves" et également une phrase du site: "Prends le pouvoir, note tes profs !" qui peuvent alimenter les arguments de chaque camp. Que le site soit heureux ou non est l'objet de vives discussions. On se réjouira de la création d'un site contrenote2b qui fait également porter la controverse sur la toile. Se pose également le problème de la légalité du site et au moins trois plaintes, selon le décompte du Monde, ont été déposées. A la justice de trancher.


Tout ceci est sain et montre que le débat reste possible, même concernant le plus grand employeur de France. Une assignation en référé menaçait déjà ce bel affrontement : une action assez étonnante car le caractère d'urgence de la fermeture du site paraît léger. Mais c'était encore insuffisant pour un certain nombre de professeurs : désormais circule une pétition invitant à la fermeture du site.

Or c'est là pousser le bouchon un peu loin : car la pétition est d'abord le symbole de l'action pacifique dans les revendications asymétrique, lorsque la personne ou l'autorité mise en cause détient une force de répression (dans le cas par exemple des pétitions pour la fermeture de Guantanamo) ou bénéficie d'une situation financière et d'un accès médiatique considérable (cf. la pétition de RSF pour convaincre Jerry Yang de Yahoo! de ne plus censurer son site en Chine sur des mots clés tel que 'démocratie' ou 'droit de l'homme') comparée à ceux qui se sentent lésés et/ou qui veulent agir. Mais rien de tout cela dans le cas présent. La pétition est ici utilisée par un groupe bien structuré (le corps enseignant) profitant de son homogénéité pour s'attaquer à un particulier ou à une entreprise dont on ne peut surestimer l'accès médiatique (elle-même résultant en partie de l'attaque menée par les enseignants !) Recourir à la pétition, c'est dans ce cas, tenter de faire pression sur le pouvoir et l'opinion en se servant, non pas de l'argumentation et de la logique, mais de la force du corporatisme. Il s'agit d'impressionner par le nombre, de montrer une détermination qui fasse peur à la classe politique au point de lui faire prendre immédiatement parti sans fondement légal. La réaction de M. Darcos : "[Je] condamne avec fermeté l'ouverture de tels sites et tient à rappeler que l'évaluation des professeurs et leur notation sont du ressort exclusif de l'éducation nationale et, plus précisément, des fonctionnaires habilités pour ce faire : les inspecteurs et les chefs d'établissement" est à ce sujet atterrante pour un ministre en exercice ; elle ne peut qu'inciter les corporatismes à poursuivre dans de tels procédés.

En se posant en victime et en recourant à la pétition, les professeurs usent de moyens qui n'ont pas lieu d'être dans une démocratie en fonctionnement et qui devrait seulement être réservés pour les cas les plus graves. En y ayant recours, ces professeurs censés ouvrir l'esprit de leurs étudiants utilisent un instrument coercitif dans un but de censure. Mesdames, Messieurs de l'Education Nationale : on attendant mieux de vous. Renoncez à cette pétition et montrez que vous placer le débat sur le domaine de l'argumentation et du bien public. Vous en sortirez grandi.


(1) Source: Olivier Dumons, Le Monde, Zéro pointé pour un site de notation des professeurs, 14.02.08.

Un cas de censure mondaine

Voici une histoire typique qui anime les conversations autour d'un verre, fait vendre les journaux à scandale, alimente les chat rooms, bref, fait tourner une partie de l'économie. Tous les ingrédients y sont réunis : sexe, mensonge et vidéo, star en larme qui demande les excuses du public, protagonistes qui voient leur réputation souillée et leurs contrats rompus, etc. . Les faits sont simples : un des plus célèbres acteurs hongkongais, Edison Chen, semble avoir pris des photos et au moins une vidéo de huit femmes célèbres (actrices, chanteuses, femmes d'affaires) du territoire alors qu'il partageait leur intimité. Les photos étaient sauvegardées sur un ordinateur portable, lorsqu'un employé indélicat a profité de la réparation dudit ordinateur pour en faire une copie. Ces photos ont depuis été diffusées, provoquant scandale.

Histoire croustillante ou invraisemblable (mais comment peut-on se faire photographier dans une telle situation quand on est une célébrité ?) suivant les avis, qui n'a pas vraiment de place sur ce blog. Sauf que les réactions des autorités soulevées par cette affaire représente un cas d'école de censure qu'on pourrait qualifier de mondaine : la protection de l'élite par l'autorité au mépris de la loi. Ainsi, selon Apple Daily, (1) le chef de la police de Hong Kong, M. Tang King-shing déclara que la possession de nombreuses photos obscènes pouvait être considérée comme une intention de les distribuer (la mise en ligne de documents à caractère pornographique est illégale à Hong Kong), un propos amendé plus tard devant le tollé qu'il avait provoqué. Un des ses assistants précisa que les photos peuvent être vues et envoyées par email entre amis sans enfreindre la loi. Dans un article du New York Times (2), il est signalé sans autre explication que les autorités d'une province chinoise avertirent les résidents que participer à la diffusion des photos pouvait être puni de trois ans de prisons. On aurait aimé savoir quelle province et la source de cet avertissement.

Alors évidemment, pour déplaire à M. Tang King-shing, voici un site depuis lequel vous pourrez télécharger les photos (mineur s'abstenir) !

A bon censeur, salut !



Source:
1. Je n'ai pu vérifier l'article original d'Apple Daily, mon chinois traditionnel étant laborieux. Merci à un lecteur s'il pouvait confirmer la source.
2. Geoffrey A. Fowler and Jonathan Cheng, New York Times (online edition), 'Sexy Photo Gate' Mesmerizes Hong Kong, China and Sparks Police Crackdown, Backlash, 15 Février 2008.